Histoire de l'Art 4 eme année

Histoire de l'Art 4 eme année
N.Victor-Retali Casino 2008 (de la série "Désapparences")

lundi 20 septembre 2010

XX & XXI°S CHAPITRE 50 L'ART CONTEXTUEL

CHAPITRE 50 L'ART CONTEXTUEL
Jacques ROUVEYROL


INTRODUCTION


L’art du Moyen-Âge est immédiat en ce sens qu’une « œuvre » n’est pas une « œuvre » mais un message qui « parle de Dieu ». Le Moyen-Âge, d’ailleurs, ne connaît pas d’artiste. Celui-ci se distingue de l’artisan seulement à la Renaissance. Disons grossièrement que l’art du Moyen-Âge est de l’ordre du fait.
L'Adoration des Mages du XII°S, ci-dessous, à Autun raconte une histoire
A partir de la Renaissance où il prend naissance, l’art se situe résolument dans la réflexion et non plus dans le fait.

1.Réflexion du monde, jusqu’à Manet et l’impressionnisme. Un tableau est une fenêtre (Alberti), un miroir (Platon).



Même cet Apollon et Daphné du XVII° (Poussin), ci-dessus, qui « illustre » un épisode des Métamorphoses d’Ovide, ne fait que présenter le reflet idéalisé des relations simplement humaines.



2. Réflexion sur cette réflexion, c’est-à-dire sur la peinture elle-même, à partir de 1863, Olympia de Manet.
Le « sujet » de ce tableau, on l’a vu, n’est nullement une prostituée recevant l’hommage d’un client satisfait et attendant le suivant. C’est, sur la surface d’une toile, « des couleurs assemblées ». Premier tableau.

3. Toute la suite, on l’a vu, n’est rien qu’un progrès de cette réflexion (ou conscience).

a. Cézanne se demande comment nous faisons pour percevoir le monde. Ci-dessus, La Montagne Sainte-Victoire 1887 Courtauld Institute of Art, Londres.

b. Matisse et Picasso, à leur tour, se demandent comment un monde de la peinture peut-il se constituer, différent de et pourtant compatible avec la réalité ordinaire ?

c. L’abstraction prend la peinture elle-même comme objet de réflexion, refusant toute compromission (représentation) avec le monde. A preuve, Malevitch et sa Composition blanc sur blanc 1918.

d. Le surréalisme puis l’expressionnisme abstrait, chacun à sa manière, s’interrogent sur le rôle du sujet (du peintre) dans la réalisation de l’œuvre. Projection de l’inconscient pour le premier; décision libre à partir de poussées « instinctives » pour le second.

e. Dans le même sens, mais avec un matériau différent (travaillant sur la matière et plus seulement sur la forme) le Post-expressionnisme américain et les Nouveaux Réalistes français (et italiens), ci-dessous, se demandent comment la « propriété œuvre d’art » parvient à la matière (même la plus triviale : le déchet).



f. Exactement à l’opposé, mais toujours dans l’effort d’une augmentation de la conscience, le Pop'art puis l’Hyperréalisme s’intéressent à la forme pure, dématérialisée : l’image qui est devenue le nouvel objet « réel» pour la perception de l’homme contemporain (occidental) : le consommateur. Comment voyons-nous aujourd’hui le monde qui nous entoure ? C’est la question posée par ces deux courants.

g. Le Minimalisme et l’Art Conceptuel, qui dominent en fait l’art contemporain sous ses diverses formes jusqu’au Postmodernisme, placent dans la conscience elle-même, en somme, l’œuvre. A la limite, sa réalisation (pour l’art conceptuel) est sans intérêt. L’œuvre d’art réside dans la description de son processus de réalisation. On ne saurait aller plus loin.

h. Le Body Art, la Performance, le Land Art, même s’inscrivent dans la manière de concevoir minimaliste. Le Body Art opère un retour sur le « sujet » mais un sujet différent : ni l’inconscient des surréalistes, ni le sujet « authentique » des expressionnistes gestuels : le corps ni-sujet-ni-objet. L’art peut se passer d’artistes. Dans la performance c’est le processus qui compte (comme pour les minimalistes). Il peut peut-être aussi se passer de l’œuvre. Les œuvres du Land Art sont toutes (par définition) éphémères.

4. La remise en question de « l’évolution » de la conscience : le Postmodernisme.

i. Le Postmodernisme tourne radicalement le dos à toute l’évolution de l’art depuis l’Olympia de Manet. Il affirme l’équivalence des œuvres, des courants, des époques. L’équivalence du passé et du présent. Ce faisant, il remet en question la valeur-même de l’art : si tout s’équivaut, tout a la même valeur. Rien ne vaut plus.
Ci-dessous Tadashi Mirakami et Jeff Koons.


Ce nihilisme est-il l’essence de l’art actuel ? C’est la question que nous devons entreprendre de nous poser.


II. L'ART CONTEXTUEL

1. L’art moderne est fait pour la galerie, le musée, la collection.
a. Ce n’était pas le cas de l’art Renaissant, particulièrement, l’art des fresques. Il était fait pour des lieux : les chapelles, chambres, salles d’apparat. Voir par exemple Masaccio, Masolino à l'Eglise del Carmine Chapelle Brancacci.

b. Ce n’était pas non plus le cas de l’art médiéval fait pour les églises, les cathédrales.

c. La Renaissance, il est vrai connaît les tableaux et le XV° siècle (voire la seconde moitié du XIV°), dans le Nord, les sculptures et les peintures portatives. Un art de collection.

d. C’est au XVII° et jusqu’au XX° (et encore aujourd’hui) que le tableau et une sculpture se développent, destinés à la collection, à la galerie (au marchand) puis, après la Révolution, au musée.

e. L’une des caractéristiques de certains courants contemporains, c’est un nouveau rapport à l’exposition et au public. Il y a certes un environnement, un happening, des installations, une performance qui sont dédiés à l’espace privé de la galerie.
Mais il y aussi un art qui vient occuper délibérément (officiellement ou subversivement) l’espace public. Un tel art est événementiel : lié à un lieu, à un moment, à une circonstance. On le nomme Art contextuel. Sanja Ivekovic, en face de la Gëlle Fra (la Femme en Or), symbole de la nation du Luxembourg, dédié aux morts des deux guerres, érige, grandeur nature, sa Rosa Luxembourg enceinte (ci-dessous), figure révolutionnaire et féministe qui n’a guère plu aux nationalistes et aux organisations de la Résistance.


Ci-dessous, Ici, Valie Export arpente les rues, la poitrine nue logée dans une boite affectant la forme d’un petit théâtre priant les passants de tâter ses seins .

Joël Hubaut demande à la population de Deauville de se vêtir de rouge pour défiler dans les rues de la ville. Ce sera La place rouge à Deauville (1996).


2. In situ


a.Une première manifestation de cet art contextuel est statique. Il s’agit de détourner un lieu ou de détourner le regard sur un lieu. Ici, le « contexte » est un espace, plus précisément un lieu (au sens quasi aristotélicien ou médiéval du terme. Voir Cours de Première année Chapitre 2 La Sculpture romane ). Ce que fait Buren au Palais Royal est de cet ordre. On redonne à voir un endroit auquel des siècles d’habitude avaient ôté de l’intérêt. Ce n’est que lorsque les colonnes nouvelles ne surprendront plus à côté des anciennes que l’œuvre sera à renouveler.



3. Mobile

b. Une autre manifestation, sans doute la plus fréquente, est dynamique.
-->C’est d’abord le cas de la marche. On se souvient des Lignes de Richard Long. De la Marche au ralenti d’Orlan à Saint-Etienne. Chez le premier c’est la ligne droite qui prévaut, chez la seconde, l’habitude d’un trajet.
C’est une première catégorie de déplacement : le déplacement motivé.

-->On a aussi une démarche qui privilégie le trajet aléatoire et qui fait apparaître le lieu-ville comme un labyrinthe dans lequel il est plus aisé de se perdre que de se retrouver. C’est le sens de Map Piece (1962) de Yoko Ono qui fait dessiner à des passants une carte pour se perdre avant d’en suivre les indications. Le sens aussi de This Way Brouwn (1962) de Stanley Brouwn qui demande qu’on lui indique au hasard, sur une feuille de papier, un itinéraire qu’il doit suivre ensuite.



-->Les filatures d’Acconci qui suit en le filmant un passant pris au hasard ; celle de Sophie Calle qui loue les services d’un détective pour se faire suivre elle-même, feignant d’ignorer cette poursuite, dessinent aussi des trajets aléatoires et imprévisibles (pour le détective dans le deuxième cas). C’est une seconde catégorie de déplacement : le déplacement aléatoire.

-->L’absurdité-même de la démarche interroge, produit du sens, engendre une prise de conscience. La ville révèle sa dimension de labyrinthe : il est plus facile de s’y perdre que de s’y retrouver. Si elle se donne pour le lieu par excellence de l’anonymat (on prend en filature n’importe qui), elle apparaît encore comme un espace de « transparence » dans lequel le citadin s’expose (des caméras le « suivent » partout).
Andre Cadere portant son bâton coloré là où un quelconque passant, répondant à sa injonction, lui a demandé de le porter.




Dans le contexte de la ville, on peut donc se déplacer. Que signifie, ici, contexte ? Il n’est de « contexte » que d’un « texte ». Le déplacement est le texte. Mais, alors que dans la vie quotidienne le « contexte » précède le «texte » de nos déplacements avec cette conséquence que ces déplacements ne sont pas signifiants (ou plutôt, ont une signification latente : aller au travail, faire du shoping, etc.) et que le « contexte » lui-même demeure inaperçu (je fais seulement attention à traverser sans me faire renverser, je regarde les vitrines qui m’intéressent, etc.), les déplacements qu’on dira contextuels ont pour résultat de faire apparaître la ville comme contexte de toutes mes actions. L’œuvre (le déplacement motivé ou aléatoire) révèle la ville comme contexte de toute notre activité.

-->Les œuvres mobiles prennent, pour l’essentiel, trois visages :


* Celui, d’abord, d’œuvres interactives. Comme les marches urbaines de Fluxus, le happening de Kaprow, en 1963, promenant des visiteurs dans les rayons du Bon Marché à Paris, le Cityrama de Wolf Vostell promenant en autocar dans la ville ses spectateurs.

Ainsi, Marc Boucherot Tout va bien (2001), ci-dessous, balade-t-il son triporteur sonorisé incitant à boire, manger et danser et Fabrice Gygi ses Snacks Mobiles.




L’interactivité est le coeur du travail de Lygia Clark. Nostalgia do corpo coletivo 1(965-1988), ci-dessous, est une séance organisant une proximité intense entre des participants enserrés dans un filet.




Elle met au point Dialogo-Oculos qui est un système fixant l’une à l’autre deux paires de lunettes contraignant les regards de deux personnes à se croiser.




Baba Antropografica (1973) consiste à emprisonner un corps dans une sorte de cocon au moyen de fils tenus, par la bouche ou par les mains, que les participants enroulent autour de lui.



Chez Lygia Clark, ce n’est pas tant l’environnement « matériel » de la ville qui importe (ses bâtiments, ses rues) que d’une part les expériences sensorielles que nous effectuons au sein d’une collectivité et, d’autre part, ce qui résulte de ces expériences quant à la structuration de notre subjectivité (jusqu’à quel point peut-on (peut-on-même ?), dans un collectif, distinguer ce qui en nous est sujet et ce qui en nous est objet ?
L’expérience de la ville comporte cela et seule une œuvre interactive (ou participative) peut nous permettre d’approcher une prise de conscience de ces réalités. Dans le sujet individuel il y a, latent, un sujet collectif. Ce qu'un des premiers, de façon "scientifique", le "père" de la sociologie, Emile Durkheim, met en évidence dans ses Règles de la Méthode sociologique en élaborant la notion de fait social.

* Celui, ensuite, d’objets mobiles. Nicolas Schöffer crée la première sculpture « chromodynamique » SCAM 1
(1973). Montée sur un châssis Renault, la sculpture lumineuse se déplace dans les rues de Paris ou de Milan (à la différence d’autres sculptures comme Chronos 5 par exemple (1960) qui sont « mobiles » en salle comme les mobiles de Calder ou les machines de Tinguely).



Gabriel Orozco pousse sa Yielding Stone (1992) dans les rues. La boule de pâte à modeler relève toutes les empreintes sur son passage dans les rues de New-York et d’autres villes, empreintes qui se solidifieront quand la pâte viendra à sécher.
Krzysztof Wodickzo réalise des Homless Vehicles (1988) destinés aux sans-abris de New York, caddies servant au transport des « biens » et au couchage.



Et aussi des Poliscars destinés au même usage.



* Celui, enfin de l’artiste nomade dont le déplacement constitue l’œuvre d’art. Oleg Kulik métamorphosé en chien, déambulant nu, à quatre pattes au bout d’une laisse dans les rues. Ou Günter Bruss arpentant, le corps peint, les rues de Vienne (Voir Cours de 3eme année, Chapitre 46).



C'est Michelangelo Pistoletto en 1967 qui roule sa Walking Sculpture (une sphère de carton) dans les rues de Turin.



Que signifie cette mobilité-là ? Non plus que la ville est un labyrinthe (c’était le sens des Marches), non plus qu’elle est le lieu du transitoire parce qu’elle est lieu de transit, mais que la ville est aussi un champ de forces qui ne laisse rien immobile et que l’art a à sortir de l’espace immuable et intemporel du musée s’il veut rendre compte de la réalité.
En rendre compte non la représenter comme le faisaient par exemple ces extraordinaires peintres de la ville que furent les impressionnistes.
Qu’est-ce que « en rendre compte » ? C’est toujours la même chose. Dans la rue, nous faisons mille écart pour avancer entre les autres passants, des mouvements de foule nous entraînent, des événements attirent notre attention, mais nous n’avons pas conscience de la mobilité qui nous anime, des forces qui nous déplacent. Les œuvres contextuelles sont là pour éveiller en nous, une fois encore, la conscience du contexte dans lequel nous nous trouvons placés.

4. L'affichage.

-->La ville est un ensemble de murs recouvert d’affiches : « Défense d’Afficher », slogans publicitaires, affiches électorales, …). Les murs parlent.
Ou bien nous ne les voyons plus ou bien la cacophonie est telle que nous fermons les yeux, nous bouchons les oreilles, contraignant le publiciste à toujours davantage d’inventivité pour attirer notre attention, nous tenir un discours intelligible.
En quoi le fait d’ajouter des affiches est-il propre à faire advenir à nouveau (ou un nouveau) du sens ?

"Je n'expose pas des bandes rayées, mais des bandes rayées dans un certain contexte » , explique Daniel Buren lorsqu’en 1968 il réalise des affichages non autorisés : de simples bandes noires et blanches. Ci-dessous, Affichage Sauvage (1969). Celui-là est autorisé, mais pas d’invitation, pas de galerie, pas d’explication.


Des affiches qui ne disent rien. Oui mais en place d’affiches publicitaires qui ne cessent de dire (contexte). Mais de dire quoi ? A force de parler sans arrêt, à force que ce discours incessant soit multiple, ces affiches finissent elles-mêmes par ne rien dire.
Les affiches « silencieuses » de Buren nous font prendre conscience de l’inconsistance d’un discours qui, pour être incessant et polyphonique finit par n’être qu’un bruit à travers lequel l’information est réduite au silence.
Les affiches de Buren ne sont pas des affiches parmi d’autres. Leur « silence » en fait des énigmes pour le badaud. Elles parlent du ne-rien-dire des autres. Celle Tania Mouraud Ni ( City Performance N°1 1977-1978) ne dit pas davantage puisqu’il n’est pas précisé à quoi ce « Ni » s’oppose.



Le Race de Les Levine (1984) sur Los Angeles Highway est un mot associé à une image sans rapport (qui rappelle le schéma du fondateur de la linguistique, De Saussure, pour le signe, schéma associant un mot (phonétiquement écrit) : « arbre » (le signifiant) au dessin d’un arbre (le signifié)). Rappel, peut-être, mais incongru, d’abord de se trouver là au bord d’une route, ensuite du fait de l’absence de rapport entre le mot et l’image (absence de rapport, ou plus précisément : rapport arbitraire, qui, rappelons-le, est par ailleurs essentiel à cet élément de la langue qu'est le signe). Mais, toutes ces publicités que nous entrevoyons en roulant ont-elles davantage de sens pour nous ?



A la différence des panneaux habituels, justement à cause de leur incongruité, les panneaux de Les Levine ou de Claire Dehove (Alerte rouge affichage sur 500 panneaux publicitaires urbains, Dauphin et Giraudy) demandent que l’on s’arrête sur le bord de la route et qu’on s’interroge. Là encore, c’est à un éveil de la conscience qu’on se trouve invité.



Ce détournement de l’affiche se prolonge en détournement de la signalétique. « Chartres, sa cathédrale, etc. », Des panneaux annoncent les charmes de la ville sur le bord de l’autoroute qui y conduit. Robert Milin, près de Rennes, réalise en 1998, une série de panneaux : Cleunay : ses gens. Ci-dessous, l’un de ces panneaux : Odette. C’est dire qu’une ville, ce sont d’abord ses habitants, des gens, seulement ensuite des monuments. C’est donc remettre les choses à leur place, place qui nous est depuis longtemps sortie de l’esprit.




--> A côté de l’affiche, la bannière. Moins « ordinaire » dans notre vie quotidienne, la bannière ne gagnerait rien à être « silencieuse ». Elle est dès lors engagée. Ainsi de Chile Vencera Banner (1974) de John Dugger, déployée à Trafalgar Square à Londres contre Pinochet et son régime.




D’autres affiches parlent. Mais, à la différence des affiches publicitaires dont la raison d’être est la séduction, celles-ci rappellent, ramènent à la réalité. Ainsi de Rwanda, Rwanda d’Alfredo Jaar (1974), ci-dessus. Mais c’est encore ici en ce qu’elles se distinguent des affiches publicitaires et en ce qu’elles éveillent une conscience endormie qu’elles fonctionnent comme œuvre d’art (ici dans le contexte d’un massacre).

Dans Texte/Contexte (1979) Joseph Kosuth utilise un panneau publicitaire pour expliquer au passant comment la publicité portée par ces panneaux le conditionne. Cette publicité anti-publicitaire joue dans le même registre que l’Affichage de Buren : utiliser l’affiche pour dénoncer l’affiche. Ici, texte (« silence » de Buren, « explication » de Kosuth) et contexte (l’espace publicitaire, l’affiche) sont une seule et même chose. L’absurde (une affiche muette, une affiche qui met en garde contre l’affiche), là encore, comme chez Yoko Ono, Stanley Brouwn, Cadere, révèle, fait prendre conscience de ce que nous savons seulement de façon latente : tout ce bruit publicitaire est si insupportable que nous avons résolu d’être sourds … malheureusement aussi à ce qui n’est pas lui.



Ainsi encore de Power for the People accrochée sur Battersea Power Station, Londres (1972) par Rose Finn-Kelcey.



--> Il y a donc l’affiche, la bannière, il y a encore bien des sortes d’ »affichages » qui sont utilisés par les artistes contextuels : à commencer par
* des objets insolites disposés ici et là de façon incongrue. Tels les Cadenas de Gilbert Boyer, cadenas gravés accrochés sur les éléments du mobilier urbain destinés à empêcher les piétons de traverser hors des passages dits protégés. Cent mots (verbes) énonçant le plus souvent une action, mais cadenassée (entravée) :« désirer», « partager », toucher », « communiquer », « provoquer », etc.


* des bilboards à la manière de Patrick Mimran



* des systèmes lumineux (projections ou panneaux) qui permettent par exemple à Jenny Holzer de dérouler ses Truisms .



5. Un art éphémère


--> Il apparaît aussi, qu’il s’agisse de la marche ou de l’affiche qu’une des caractéristiques essentielles de l’art contextuel est son caractère éphémère. Les palissades de Buren, percées de fenêtres colorées qui donnent à voir les colonnes sous des couleurs différentes, ne durent que le temps des travaux au Palais Royal.
La ville est un contexte mouvant, en devenir perpétuel. Le « texte » doit donc sans cesse s’adapter. Une affiche n’est pas faite pour durer. La ville est un lieu dans lequel on transite, dans lequel, en même temps, tout est transitoire. A l’opposé du musée fait pour la conservation.
Ainsi, Gordon Matta-Clark profite-t-il des démolitions des immeubles de tel ou tel quartier pour y produire des vues inattendues qui ne dureront qu’un temps : exposition de l’intérieur d’une maison après en avoir ôté la façade ou aussi bien, exposition depuis l’intérieur par découpage d’un cercle dans la façade.
Ci-dessous, Building cut, 27-29 rue Beaubourg Biennale de Paris (1975).



7. Contexte paysager

Le peintre naturaliste du XIX° n’est pas sans action sur la nature : il en prélève des fragments pour en faire du paysage. Il donne à voir des visage de la Nature.
Mais son action est d’abstraction. Au sens strict du terme : il sépare (abs-trait) de la matière son apparence, comme le mathématicien sépare de la table sa surface pour en donner la mesure.
Le Land Art, le Earth Art quelque « conceptuels » qu’ils puissent être dans leur essence (voir Cours de 3eme Année Chapitre 47 Land Art & Earth Art ) mènent des actions concrètes sur la matière-même de la nature.
Pourtant, tous les earthworks (les œuvres de Walter De Maria, de Hans Haake, de Dieter Roth, etc.) restent le plus souvent des mises en scène de la Nature et n’ont pas le caractère des œuvres contextuelles.
L’artiste contextuel s’installe dans la nature c’est-à-dire dans la matière-même de la nature. C’est ce que fait Walter De Maria en 1977 avec Lightning field. Il s’agit là de sculpter la foudre en se plaçant naturellement dans le contexte météorologique local. On agit sur le « paysage ».



Pourtant, là encore, il faut distinguer :


-->Se placer dans la nature comme dans un espace d’exposition pour y installer des œuvres. Certes, la nature se donne bien alors comme le contexte de l’œuvre, mais de façon pour ainsi dire contingente. L’œuvre se présente mais ne s’inscrit pas (au sens fort) dans le contexte. Ainsi par exemple des œuvres de Christo et Jeanne-Claude. Ou encore la Rivière de Lin (1997) réalisée par Jacques Leclerc-K entre Liercourt et Sorel en Vimeu, dans la vallée du Friolet avec l’aide d’un grainetier et de quatre agriculteurs (ci-dessous). L’œuvre s’installe dans un paysage dont elle ne modifie que superficiellement l’apparence. Denis Oppenheim dessine dans la neige avec une pelle ou une motoneige, Richard Long trace des lignes en marchant ou dessine des cercles avec des pierres. Ce sont des œuvres qui ne sont pas réellement contextuelles dans la mesure où il n’y a pas entre le « texte » et le contexte de lien consubstantiel.




-->Sculpter en creux. Attaquer la surface, creuser dans la matière naturelle, réaliser des « sculptures négatives ». C’est le travail, par exemple, de Michaël Heizer avec Double Négative (1969-1970) dans le Nevada. Travail spectaculaire, visible par satellite. Mais pas vraiment contextuel, car la sculpture obtenue est pour ainsi dire indépendante du contexte dans lequel elle est réalisée. Là encore, pas de consubstantialité entre « texte » et contexte.
-->Le earthwork contextuel développe donc un texte complètement lié à son contexte. Les Sun Tunnels (1976) de Nancy Holt dans l’Utah n’ont aucune valeur « décorative » et n’ont de sens que par rapport au mouvement du soleil, orientés qu’ils sont par rapport aux solstices. Une sorte de « communion cosmique ».



--> Observatory (1970-1977) à Oostelijk-Flevoland aux Pays-Bas crée un espace non à voir mais où se placer pour voir. Cet emplacement n’est pas non plus choisi au hasard, il est fonction des positions du soleil au moment des solstices. En somme, c’est ici le contexte qui écrit (ou guide l’écriture) le texte. Consubstantialité.




Même thème de l’observatoire pour Sylvie Blocher avec Paysage abstrait pour la solitude du touriste n° 4 (1989) ou Observatorium (1992) de Marinus Boezem.

-->La dimension cosmique des œuvres liées à la notion générale d’observatoire (les œuvres de Nancy Holt entrent dans le cadre de cette notion) sont évidemment contextuelles, on a vu pourquoi.
Toutefois, toutes œuvres contextuelles liées à l’intervention sur la nature ne sont pas nécessairement « cosmiques ». A la prise de conscience de notre situation dans l’univers à laquelle contribuent ces réalisations, il faut ajouter toutes les œuvres à dimension écologiques qui, d’une autre manière, traitent de notre situation dans la nature vivante.
Nicolas Uriburu, avec Green Peace, colore en vert les eaux du Riachuelo, à Buenos Aires, une des Rivières les plus polluées au monde (2010).



Joseph Beuys, à la Documenta 7 de Kassel en 1982 commence la plantation de 7000 Chênes. Chaque chêne est associé à une colonne de basalte. Les 7000 colonnes de basalte sont disposées en tas au début de l'action dans un parc de Kassel. Les acheteurs paient cinq cents Deutsch Mark pour planter un arbre au pied duquel est disposée la colonne de basalte, et reçoivent un reçu.




Sur la question écologique, l’art contextuel a encore beaucoup à dire. Il ne lui appartient pas sans doute de résoudre la question (de planter 7000 arbres), mais une fois encore d’éveiller la conscience. En refusant le « paysage » des peintres naturalistes, les mises en scène des land artistes voire les installations qui font de la nature davantage un « décor » qu’un contexte, ils affirment qu’il n’y a pas (ou plus) de nature et qu’il nous appartient d’en produire une qui soit autre chose qu’une ruine.

Aux antipodes de l’art postmoderne, l’art contextuel. Le premier, en effet, est un « texte » sans contexte. Tadashi Murakami est-il à sa place à Versailles ? Parce qu’il est très fortement investi, le contexte résiste encore dans l’indignation de certains spectateurs. Pourtant Murakami est à Versailles après Koons. Ce qui signifie que le contexte est indifférent à la présentation de l’œuvre. Tongari-Kun (2003-2004) n’est pas «déplacé » dans le Salon d’Hercule. Mais, du coup, ce n’est pas non plus sa place.


L’œuvre postmoderne est à l’image de la « globalisation », elle est de partout, elle peut aller partout. Elle est sans contexte. L’œuvre contextuelle, à l’inverse, n’a qu’un lieu, n’a qu’un temps. Elle s’inscrit dans un «univers» donné puis s’efface lorsque cet « univers » se retire.
Il y a quelque chose d’existentialiste dans la « pensée » contextuelle : la liberté ne s’exerce que dans les limites de la "situation", mais elle n’existe aussi que par cette situation. Je n’ai le choix de vivre ou de mourir que parce que (c’est ma situation :) je suis né. Certes, cette situation ne guide pas mon choix, mais elle rend nécessaire que je choisisse (« condamnés à être libres », écrit Sartre).
De la même manière l’œuvre, l’artiste ne s’inscrivent dans la ville, dans la nature que selon les modalités de la ville (mobile, transitoire, éphémère, etc.) ou de la nature. Paradoxalement, l’œuvre contextuelle (si mobile soit-elle) n’est pas transportable comme la postmoderne.
Faut-il choisir ? Le postmodernisme va-t-il balayer l’art contextuel comme il semble avoir balayé l’art dominant minimaliste ou conceptuel ? L’histoire de l’art n’est pas une Bible on y rencontre rarement des prophètes.

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